Drop in 5 ! Ride dans l'Himalaya 🏔
Zabardast ! Printemps 2018, nous sommes dans la vallée du Karakoram au Pakistan, Thomas, Léo et Yannick sont suspendus à leurs piolets sur la Biacherahi Tower à 5.880 mètres.
Hello ! Ici Gabrielle et Baptiste, "aventuriers du dimanche", nous vous partageons toutes les deux semaines le récit des plus grands athlètes-aventuriers de la planète.
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Temps de lecture :
- Entretien : 7 min
- Pour aller plus loin & minute adrénaline : 1 min
- Le jeu concours : 1 min
Jérôme Tanon: “Nos yeux n'étaient rivés que sur cette montagne”
Retranscrire une histoire, partager un récit ou revenir sur ses émotions est souvent un exercice périlleux pour nos interlocuteurs. Quels mots choisir, quelles images filmer ou tout simplement que raconter, autant de choix clés pour le succès d'un récit.
À ces questions, Jérôme Tanon ne laisse pas de place au doute : ce sera la photographie et les documentaires. Avec talent, il publie en 2019 son documentaire Zabardast (génial en langue Ourdou), un carnet de voyage intime d'une incroyable expédition de freeride au coeur de l'Himalaya...
Printemps 2018, nous sommes dans la vallée du Karakoram au Pakistan, Thomas, Léo et Yannick sont suspendus à leurs piolets sur la Biacherahi Tower à 5880 mètres. "J'espère que ça va pas péter, j'espère que ça va pas péter...", Léo tremble, l'erreur n'est pas permise, Thomas redescend, Yannick fonce. Sur la crête opposée, Jérôme est suspendu à sa caméra, le temps semble figé dans un univers parallèle.
Aujourd'hui, Jérôme nous partage sa vision du risque, du renoncement, de l'aventure humaine, mais également des conseils concrets pour réaliser ses propres films.
Jérôme, au printemps 2018 tu entreprends un défi fou: le Karakoram. Tu te souviens de la genèse du projet Zabardast ?
C'est Thomas Delfino, un copain snowboarder, qui m'a appelé. Il avait trouvé dans un vieux livre la photo d'une montagne incroyable au Pakistan et depuis n'avait qu'une idée en tête, la rider ! (Rires) La façade était impressionnante, totalement verticale. Il a trouvé avec Picture (NDLR : Picture Organic Clothing, en collaboration avec la production Almo Film) le soutien pour organiser toute l'expédition. C'était une assez grosse logistique d'aller là-bas, il nous fallait des guides de haute montagne évidemment, parce qu’on n'avait aucune idée des conditions !
Picture m'a fait confiance pour que je réalise le film, ce qui était un sacré défi pour moi qui étais déjà le photographe de l'expédition. Il fallait en profiter mais garder en tête que l'objectif c’était le film, réfléchir à la façon de le monter ou de raconter les histoires...
Après plusieurs jours de ski de randonnée, vous arrivez à la base de Biacherahi Tower. Quelle ambiance régnait dans le groupe à la veille de l'ascension ?
Nos yeux n'étaient rivés que sur cette montagne. Pourtant dans l'Himalaya, ce ne sont pas les sommets qui manquent ! (Rires) Mais on voyait vraiment celle-ci se détacher dans le ciel, c'était vraiment magnifique. On a eu une première phase d'échauffement avant de s'attaquer à la tour, en visant les fenêtres de beau temps.
Tout le monde avait envie de se lancer à l'assaut. Évidemment du côté des riders il y avait un peu d'appréhension. Il ne suffisait pas de monter la face, ce qui était déjà un vrai défi en soi, mais également de la descendre ! Pour éviter des prises de risques non justifiés, prévention et prudence étaient de sortie du côté des guides.
"L'attente était interminable, le temps passait, presque 2 heures ou 3 heures de l'après-midi... "
Quelle était ta mission en tant que réalisateur dans ces moments d'alpinisme et d'adrénaline ?
J'avais une position un peu particulière. Déjà, j'étais sans doute le moins préparé physiquement, j'ai eu le mal des montagnes, et c'était impossible pour moi d'aller au sommet : on ne s'improvise pas alpiniste. De toute façon, je devais prendre des photos avec le meilleur angle. Avec un cameraman, on était sur un petit sommet en face qui donnait un angle de fou !
Pendant un moment, on a perdu le contact radio alors qu'ils étaient derrière la crête. L'attente était interminable, le temps passait, presque 2 heures ou 3 heures de l'après-midi... C'était un peu angoissant, à la fois on espérait qu'ils étaient safe et en même temps on avait aussi peur de plus avoir de lumière pour les images. Et finalement ils sont apparus et on a envoyé le film !
"Envoyer un groupe de mecs dans des tentes collées les unes aux autres à 5.000 mètres d'altitude pendant des semaines c'est une drôle d'expérience !"
Lors de l'ascension, les riders décident de se désencorder pour ne pas se mettre en danger les uns les autres. La limite est dépassée pour Thomas, qui décide de redescendre. Renoncer, c'est aussi un exploit ?
Je crois que c'est toujours une question d'histoire personnelle. Thomas peut avoir l'air d'une tête brûlée quand on voit ce qu'il fait, mais en fait il est super posé et prudent. Il garde la tête froide et n'hésitera jamais à faire demi-tour si c'est dangereux. C'est plutôt Léo Taillefer, la tête brûlée ! (Rires) Au vu des conditions, Thomas a préféré ne pas risquer sa vie et c'est vraiment louable. Cela n'était pas prévu dans le film ! Quand on fait un documentaire sur une aventure, on n'a aucune idée de ce qui va se passer, on ne peut pas établir de scénario à l'avance.
Thomas a fini par trouver la "rédemption" lors de la dernière descente, il se passe plein de choses entre temps qui expliquent aussi ces choix, mais il faut choisir quels sont les éléments narratifs clés qui racontent le mieux l'histoire.
"Je crois surtout avoir appris comment mon corps et mon esprit réagissaient en situation extrême."
Une telle expédition, ça crée des liens uniques ?
En fait, au départ, la plupart d'entre nous ne connaissaient pas le reste de l'équipe : les cameramen ne se connaissaient pas entre eux, les guides se connaissent, mais ne connaissaient pas les riders... Envoyer un groupe de mecs dans des tentes collées les unes aux autres à 5.000 mètres d'altitude pendant des semaines c'est une drôle d'expérience. Mais il y a eu une super ambiance et une bonne dynamique de groupe. Évidemment, parfois il y a eu un peu d'énervement, même pour des petites choses : tu peux te mettre en colère parce que tu as fait tomber ton briquet dans la neige ! Mais ça n'a jamais mal tourné parce que personne n'a perdu de vue l'objectif. On avait aussi l'oeil sur la montre avec une grande boucle à faire dans un temps déterminé pour retrouver les porteurs à un point et un jour précis, sinon ils repartiraient sans nous ! (Rires)
Aujourd'hui, on est toujours en contact, je vois souvent Thomas et Léo et on continue à prendre des nouvelles des cameramen ou des guides.
Avec deux années de recul désormais, que retires-tu de cette expédition ?
Je crois surtout avoir appris comment mon corps et mon esprit réagissaient en situation extrême, et ça, c'est quelque chose qu'on ne peut pas facilement imaginer. Tant qu'on n'y est pas, on se prend un peu Superman, mais moi à deux reprises dans l'expédition j'ai été attrapé par ce mal des montagnes et j'ai été incapable de faire un pas de plus. On s'approche vraiment de nos limites et on comprend où elles sont une fois qu'elles sont prêtes à être franchies.
Et je retiens aussi tous les beaux souvenirs, les amitiés fortes que j'ai nouées et bien sûr les paysages, le coeur du voyage.
Comment prépare-ton une telle expédition ?
On nous a beaucoup posé la question et souvent les gens sont un peu déçus d'apprendre que de mon côté elle n'a pas été énorme (Sourire). De toute façon, ce n'est pas avec quelques footings autour du lac d'Annecy qu'on sera aussi préparé que nos guides ! Eux, comme Thomas, et Léo, passent leur temps en montagne donc n'ont pas eu de problèmes de ce côté-là. Pour les cameramen et moi, la différence s'est faite au mental, on avait vraiment envie de foncer droit devant malgré les conditions extrêmes.
Au niveau logistique, ça nous a pris deux mois, on avait fait le choix de prendre un ordinateur portable pour directement dérusher les images qu'on avait.
Côté budget, c'était autour de 60.000 euros pour huit personnes pour un mois et demi là-bas, en comptant l'avion, le matériel, les visas et les guides.
Il faut ensuite y ajouter le coût de production du film, ce qui fait au total de l’expédition 140.000 euros, ce qui n'est pas énorme quand on voit l'envergure et l'exposition qu'il a eu !
"Ce ne sera jamais le matériel, la musique, la qualité du montage ou les effets qui feront la différence. Non, il faut raconter une histoire avec un début, une fin, des personnages."
Pour notre communauté qui aime partir à l'aventure, as-tu des conseils pour réaliser un film de voyage ?
En un seul mot : l'histoire. Ce ne sera jamais le matériel, la musique, la qualité du montage ou les effets qui feront la différence. Non, il faut raconter une histoire avec un début, une fin, des personnages... Une fois que tu as ça tu peux filmer avec ton téléphone et ça suffit, car si ton but est de faire les plus belles images, tu ne pourras jamais concurrencer les grosses productions. Le point crucial de tout film, c'est de raconter comment tu vis ton aventure et comment tu veux t'en souvenir une fois rentrée chez toi.
J'essayais à chaque fois de bien garder en tête les éléments narratifs au fur et à mesure que les cameramen filmaient et les évolutions de chacun. À partir de là, on peut ajouter plein d'histoires et le mieux c'est quand elles s'imbriquent les unes dans les autres.
Cette narration, justement, tu l'as en tête avant de partir, ou est-ce quelque chose que tu vas modifier, que tu vas travailler tout au long de l'aventure ?
J'avais un plan très précis avant de partir. Évidemment je n'avais pas tous les éléments de l'histoire parce que je ne savais pas ce qui allait se passer, mais j'avais une idée de comment j'allais raconter l'histoire, dans quel style, avec quel genre de musique ou d'image. J'avais montré des films de référence au cameraman pour qu'il sache à peu près dans quelle ambiance on voulait se placer et selon quel angle.
Je prenais des notes au fur et à mesure et j'avais donné comme instruction au cameraman de filmer le plus possible : le but c'était de raconter de manière très crue et très réaliste ce qui se passait. Pour moi, il était évident par exemple qu'il fallait montrer les guides par rapport à d'autres films de freeride. C'était important de les montrer car ils faisaient complètement partie de l'aventure. Même idée pour Thomas qui a fait demi-tour, parce que finalement c'était aussi un acte de courage et qu'il fallait en parler.
Photographe et réalisateurs, ce sont deux métiers bien différents. Quels sont tes rapports avec ces deux activités ?
Pour moi, c'est très différent. C'est vrai qu'il y a des photographes qui ont le talent d'arriver à raconter une histoire avec une photo ou un petit groupe de photo. Il y a une histoire qui en découle. Je n'ai pas ce talent, mais j'aime avoir des images un peu iconiques pour résumer une expédition, un trip, une montagne, une figure et fixer une idée. Mais c'est assez différent de la vidéo !
Ça me permet d'avoir d'autres projets comme celui sur les femmes dans le snow. Je me suis rendu compte qu'elles étaient complètement sous-représentées, j'ai donc voulu prendre le taureau par les cornes en allant rencontrer un peu toute la scène du snowboard féminin aux quatre coins du monde. Le projet a été très bien reçu, parce qu'il y avait un manque énorme. C'était vraiment un travail collectif et varié et je remercie encore toutes celles qui ont participé avec des images ou des textes. Et je réfléchis à tous mes prochains travaux, qui sont secrets pour le moment ! (Sourire)
Temps additionnel :
Ton plus grand moment d'adrénaline ? Mes premiers jumps en snowboard. Grosse frousse..
L'endroit le plus beau que tu as pris en photo ou filmé ? Haynes, un village de pêcheur en Alaska perdu avec des hélicoptères pour faire du snowboard.
Une inspiration connue ou inconnue ? Mes potes. Des mecs comme Thomas ou Léo.
Ton livre de chevet ? À mes montagnes de Walter Bonatti. Les alpinistes de l'avant-guerre nous font passer pour des chochottes en comparaison...
Le plus beau souvenir du Pakistan ? Un moment de partage, ballon aux pieds, avec une bande de gamins au bord d’un lac dans un village où on a passé quelques jours.
Une musique pour lire cet entretien ? La B.O du film La ligne rouge.
Pour aller plus loin 👇🏼
S'aventurer au Pakistan
Envie de vivre son rêve himalayen ? L’équipe Zabardast est partie avec l'agence Adventure Tour Pakistan, d'autres proposent aussi des treks ou des voyages organisés pour avoir toutes les cartes en main et foncer.
Filmer ses expéditions.
Et si c'est plutôt le récit de voyage qui vous a botté dans notre échange, Jérôme nous a conseillé le Lumix GH5 pour avoir les meilleures images. Il utilise aussi des argentiques, plus vintage, pour garder l'authenticité de ces endroits hors du temps !
La recommandation de lecture de Jérôme
Nous avons décidé de suivre le conseil de Jérôme Tanon : cette semaine, on lit A mes montagnes, de Walter Bonatti. Une chevauchée de montagne en montagne qui décrit les exploits de cet alpiniste des années 1950. On est frappés par toutes ces voies parcourues, de la face nord des Jorasses au K2, par la modernité et l'ambition de ces ascensions, mais aussi la description la vulnérabilité de l'homme face aux éléments.
Le film Zabardast
Contacts
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La minute adrénaline
"A simple idea and a high possibility of failure"
Un projet que l’on peut résumer à une idée simple avec un risque d’échec important. Voilà comment Kilian Jornet décrit son nouveau défi. Nous vous avions déjà présenté cet extraterrien, qui refait parler de lui cette semaine avec sa nouvelle aventure, menée avec David Goettler.
L'objectif : tenter la traversée entre l'Everest et le Lhotse (quatrième plus haut sommet au monde) sans oxygène. Le duo est au Népal en cours d'acclimatation actuellement. Le chemin est difficile, Ueli Steck, grand alpiniste, y a perdu la vie il y a trois ans. On espère qu'il réussira cet exploit, à suivre sur ses réseaux !
Le Jeu-concours
Jérôme Tanon nous fait profiter de son talent pour le jeu-concours de la semaine : cette fois-ci, c'est un grand poster photo (60x90 cm) dédicacé de l'expédition qui est à gagner !
Pour participer au jeu-concours il vous suffit de :
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