Le Vendée Globe de rêve de Charlie Dalin
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Je suis Baptiste, "aventurier du dimanche" et entrepreneur la semaine !
Sur "Qui t'empêche", je te propose de partir avec mon équipe à la rencontre d'athlètes-aventuriers, professionnels ou amateurs, et de leurs anecdotes passionnantes.
Le tout retranscrit avec talent par mon co-pilote Martin Boissereau.
Temps de lecture :
- Entretien : 9 min
- La minute adrénaline : 1 min
- Ce qu’il ne faut pas rater : 1 min
Charlie Dalin : “Mon rêve s’est réalisé de la plus belle des manières”
Deux semaines après avoir franchi la ligne d’arrivée du Vendée Globe en tête aux Sables-d’Olonne, le 28 janvier, Charlie Dalin (36 ans) s’est offert une première sortie à vélo. Sous la neige, le Havrais n’a "pas pu résister" à l’appel d’une liberté qu’il a tant appréciée sur son IMOCA Apivia, le temps d’un tour du monde en solitaire (80 jours, 6 heures, 15 min. et 47 sec.). Mains sur le guidon et souffle haché, l’architecte est revenu sur sa première participation à l’"Everest des mers", son "rêve". Et même si Yannick Bestaven l’a finalement devancé au classement général - grâce à 10h15 de bonifications obtenues suite au sauvetage de Kevin Escoffier - Charlie Dalin estime avoir réalisé ce rêve "de la plus belle des manières". Récit.
Le 28 janvier, vous avez franchi la ligne d’arrivée du Vendée Globe en tête au terme d'un scénario de folie. Ça procure quelles émotions d’être le premier aux Sables-d’Olonne ?
Charlie Dalin : “C’est beaucoup d’émotions ! Le Vendée Globe est la plus grande de toutes les courses au large. Franchir sa ligne l’arrivée, c’est un symbole extrêmement fort : on revient aux Sables-d’Olonne après trois mois en mer et un tour de la planète. Quand on part (le 8 novembre, NDLR), on voit la ville disparaitre derrière l’horizon, on sait qu’on a 50 000 km à parcourir et que, si tout se passe bien, on reverra cette côte et cette ville (sourire). Il y a tellement d’obstacles à franchir, de tempêtes à surmonter, de problèmes techniques à régler…
Franchir cette ligne et retrouver mon fils, ma compagne, mon équipe, mon sponsor… ça fait quelque chose ! Pendant la course on pense à ces retrouvailles, on se projette et tout arrive d’un coup. Quelques minutes avant, on est encore tout seul, dans notre univers et notre normalité : le bateau, le vent, les choix de trajectoire, etc. Puis tout bascule, tout change en un claquement de doigt et c’est fort (rires). Qui plus est en étant le premier à arriver.”
« Le Vendée Globe c'est le Graal, la plus longue et dure course au large en solitaire. L'"Everest des mers". »
Ça vous donne envie d’y retourner ?
C.D. : “Complètement, même sans ça (rires). J’y ai d’ailleurs réfléchi pendant la course : comment avoir des voiles différentes, etc. Je suis passionné de voile depuis tout petit. Ce qui me fait le plus vibrer c’est la course au large en solitaire et le Vendée Globe c’est le Graal, la plus longue et la plus dure ! "L’Everest des mers" (rires). C’était un rêve d’y participer et mon rêve s’est réalisé de la plus belle des manières.”
PHOTO © Aléa / disobey. / Apivia
On a envie connaître vos secrets de préparation ! Comment vous vous êtes préparés à passer plusieurs mois seul en mer ?
C.D. : “Je n’aime pas laisser les choses au hasard (rires) donc j’ai essayé de couvrir un maximum d’aspects au niveau technique et au niveau humain. Surtout parce que c'était mon premier Vendée Globe ! Je me préparais pour quelque chose que je ne connaissais pas, c'était spécial.
Le physique :
Inter-saison : Je m'entraîne au Pôle Finistère course au large, à Port la Forêt (dans le Finistère, en Bretagne, NDLR), avec 10 autres concurrents du Vendée Globe. On a des stages en commun sur l’eau et un préparateur physique organise des séances de cross training (cardio, haltérophilie, gainage, parcours, etc). C'est assez intense ! Je pratique aussi du sport de mon côté : vélo, course à pied, quand l’eau n'était pas trop froide de la nage en mer. J'essaie de varier les plaisirs (rires).
Sur l'eau : La saison lancée, je navigue souvent le week-end pour laisser le bateau aux équipes la semaine. Une fois le bateau à l’eau, l’entraînement change : je fais du sport sur le bateau et je continue à courir, faire du vélo, etc.
Le mental : J’ai un préparateur mental avec qui j’ai fait beaucoup de mise en situation et de la sophrologie dont je me sers en mer pour me détendre et m’endormir quand les conditions sont un peu stressantes.
La nutrition : J’ai travaillé avec une nutritionniste et on a mis au point mon ravitaillement pour le Vendée Globe afin de l’adapter à mes besoins et à mes goûts.
Le sommeil : J’ai collaboré avec le centre européen du sommeil à Paris (L'European Sleep Center, NDLR). On a fait des enregistrements et on a échangé sur mes solutions de repos à bord.”
Vous avez connu des conditions météo difficiles (vent, humidité, froid…) et avez été souvent secoué, surtout dans l’océan Indien. Vous vous êtes habitué à ce bruit et ces mouvements constants ?
C.D. : “Ce qui m’a le plus surpris, c’est la capacité du corps humain à s’adapter au froid. J’ai passé un mois dans le Sud sans chauffage, dans un bateau pas du tout isolé. À un moment, il s’est mis à faire un peu plus frais et je me suis dit « J’ai froid là ! ». J’ai regardé la température, il faisait 14 degrés et je me suis beaucoup couvert (rires). Un mois plus tard je suis arrivé au niveau du Cap Horn (son premier, NDLR), il faisait 8 degrés et j’étais juste en polaire ! Mon corps s’est habitué à vivre dans le froid et j’avais beaucoup moins besoin de me couvrir.”
« Du début à la fin, on vit des moments magiques ! »
Et le bruit, on s’y habitue ?
C.D. : “En course, on utilise beaucoup l’ouïe pour savoir si tout va bien parce que les bruits sont des indicateurs. Même quand on dort on continue à écouter le bateau et si un bruit anormal survient ça nous réveille. Il faut que je comprenne d’où ça vient parce que ça peut être quelque chose qui est en train de se défaire, un début d’avarie. Dans des bateaux en carbone, c’est difficile de retracer l’origine du bruit parce qu'il peut venir de plein d’endroit et la vibration se propage facilement. Ça fait une énorme caisse de résonance de 10 mètres de long (rires).
À un moment, je suis dans le Sud, il fait nuit et j’entends un nouveau bruit, un claquement assez rare. Je me suis demandé : "C’est quoi ce bruit ?" En fait c'était une petite boîte en carbone que j’avais rangé et qui tapait contre un puits de foil (rires). Ça m’a fait sourire quand j’ai trouvé car ce n'était absolument pas grave (rires). Mais tant qu’on n’a pas trouvé on cherche, on regarde dehors et c’est plutôt inquiétant.”
PHOTO © JM.Liot-Aléa / disobey. / Apivia
Au-delà des moments difficiles, vous avez réussi à profiter de moments de plaisir ?
C.D. : “Ah oui ! Du début à la fin, on vit des moments magiques ! Les couchers de soleil ; les navigations au clair de lune où l’on n’a pas besoin d’allumer la lampe frontale ; quand on passe dans du plancton et que le sillage devient fluorescent, c’est magique ; le premier albatros qui survole le bateau c’est un moment fort ; mon premier passage du Cap Horn m’a procuré énormément d’émotion aussi (sourire). Il y a beaucoup de super moments !
Un autre aspect se développe beaucoup pendant la course : le feeling. Juste en regardant un nuage arriver, je me disais "OK, en théorie mon informatique et mes routages me disent qu’il faut que je mette telles voiles" mais à force de faire corps avec le bateau, passer jour et nuit sur des réglages, j’ai développé un super feeling. Je l'ai senti énormément progresser pendant la course et j’étais surpris de sa précision, de sa justesse et de sa pertinence.”
Vous avez réussi à vous relâcher, laisser parler vos émotions ?
C.D. : “Les émotions, il faut faire attention ! On est tout seul, il n’y a personne pour nous motiver au moment de changer de voiles, pour aller vite, etc. C’est une de mes forces d’être le plus stable possible émotionnellement. Je n’ai jamais de moment d’euphorie ni de moment difficile. C’est important de ne jamais s’enflammer car la descente peut être difficile (rires). Mais le Vendée Globe a réussi à venir à bout de moi parce que c’est tellement long, il y a la fatigue et l’usure. Qu’on le veuille ou non, on passe un peu par tous les stades mais j’ai le sentiment d’avoir toujours réussi à rebondir et plutôt rapidement après un coup de mou.”
Sur votre bateau, vous aviez écrit au feutre noir "Fast but not too furious" ("Vite mais pas trop non plus") et "Au dodo". Pourquoi ?
C.D. : “Le "Fast but not too furious", c’est aller vite mais toujours rester sous le contrôle (sourires) ; rester du bon côté de la ligne ; éviter la sortie de piste qui amène beaucoup de casse.
Et le "au dodo" : j’ai une tendance à ne pas assez dormir en course donc c’est mon rappel (rires) : "N’oublie pas de dormir pour être en forme, alerte pour prendre de bonnes décisions !" On passe notre temps à faire des choix de voiles, de trajectoires, de virement, de moments de réparation optimum, etc. Pour décider, il faut avoir un maximum de capacités et dormir.”
« J’utilisais entre 3 et 5 litres par 24 heures alors qu’à terre, rien qu’une chasse d’eau c’est plus »
Vous avez attendu 10 jours pour prendre votre première douche et avez plaisanté sur vos cheveux sales pendant la course. Comment on se lave, sur le Vendée Globe ?
C.D. : “On prend des douches à l’eau de mer avec un gel douche spécial eau de mer puis on se rince avec quelques centilitres d’eau douce. Ça suffit. On se rend compte qu’on n’a pas beaucoup besoin d’eau douce pour vivre. J’utilisais entre 3 et 5 litres par 24 heures seulement alors qu’à terre, rien qu’une chasse d’eau c’est plus que ça (rires).
Pour les vêtements, j’ai lavé quelques sous-couches et caleçons dans l’Atlantique Sud, à l’aller, puis pareil au retour. Je n’avais plus grand-chose de sec, pas humide ni imbibé de sel. En prévision du retour dans les latitudes froides, j’ai fait une petite lessive (rires). Pour les laver, je récupère de l’eau de pluie. Je mets un peu de gel douche dans un premier seau et je lave mes affaires à la main (rires). Dans l’autre seau, rempli d’eau claire, je rince mes vêtements puis je les mets à sécher.”
Votre espace vital s’est considérablement réduit sur Apivia. Comment vous vous êtes déplacé sur votre bateau, au milieu des océans ?
C.D. : “Ça dépend des conditions. Dès qu’il y a un peu de vitesse, on a besoin d’au moins trois appuis. Quand ça va vite et quand ça tape, je mets beaucoup de temps à me déplacer et je fais attention pour éviter la chute et me blesser. Quand les conditions sont un peu engagées et que je sors sur le pont, je m’attache au bateau : je mets un harnais avec une longe pour ne pas tomber à l’eau.
Il faut faire gaffe car on peut vite se faire mal ! Je me suis fait un œil au beurre noir en prenant la porte d’accès au bateau car il a planté dans une vague ; je suis tombé sur la barre du bateau et j’ai eu mal aux côtes sur plusieurs semaines. Dès que je faisais un effort, je le sentais.”
Pendant ces 80 jours, vous avez pris 3 kilos alors que la plupart des marins perdent du poids. Vous ne bougiez pas assez ou vous avez pris du muscle ?
C.D. : “C’est à peu près 50 %. Je pense qu’il y a une prise de muscle sur la partie haute du corps et un peu de masse grasse aussi. On a besoin d’énergie pour récupérer. Je préférais beaucoup manger pour être sûr de ne jamais être en déficit et fournir suffisamment d’énergie à mon corps et mon cerveau pour récupérer et réfléchir au mieux. Le ravitaillement doit être plutôt bien fait.”
« Je suis déjà tourné vers l’avenir ! »
Comment on s’habitue à la solitude, au milieu des océans, sur un bateau, pendant aussi longtemps ?
C.D. : “(Il réfléchit) La solitude ne me dérange pas. C’est ça que j’aime et que je venais chercher donc je n’ai pas le sentiment d’en avoir souffert. On est seul sur le bateau mais on n’est jamais vraiment seul ! On reste en contact avec l’équipe technique, il y a des interviews pendant la course... Ça permet d’échanger facilement avec la terre.
Cela étant dit, ça fait plaisir de reprendre contact avec la terre et de retrouver la civilisation. Par exemple, j’ai échangé avec le gardien du phare au Cap Horn et c'était un moment sympa de reparler avec quelqu’un qui est sur la terre et à la radio (rires), pas via le satellite à des gens qui sont à des milliers de kilomètres."
PHOTO © Aléa / disobey. / Apivia
À votre arrivée, vous avez confié : "C’est une course magique, qui m’a changé. Je ne sais pas encore de quelle manière mais elle m’a changé." 10 jours après, avec du recul, vous savez ?
C.D. : “Non, pas encore (rires). C’est trop frais. Il va me falloir un peu de temps pour faire le bilan de cette course. On a ramené le bateau à Concarneau hier (mercredi 10 février), il n’est pas encore dans le chantier. C’est un petit peu tôt, je pense qu’il va me falloir plusieurs semaines voire plusieurs mois. Je sens que j’ai encore besoin de liberté. La balade en vélo sous la neige, j’ai eu du mal à résister (rires).”
Depuis votre retour sur terre, vous êtes soulagé ou nostalgique de la mer ?
C.D. : “Je pense beaucoup à la suite. Je suis déjà en train de débriefer avec l’équipe, de préparer le chantier du bateau pour le l’optimiser encore plus. Je suis déjà tourné vers l’avenir !”
Propos recueillis par mon co-pilote Martin Boissereau
Pour aller plus loin :
L’aventure Charlie Dalin :
C.D. : “Pour se lancer dans la voile, il faut aller étape par étape et déjà voir si une navigation à la journée vous plaît. Il y a plein d’endroits pour en faire avec un bateau bien préparé et fiable, tout en étant bien encadré. Ensuite vous pourrez tenter une première nuit en mer, puis deux, puis trois et une traversée.
Quand on commence à être un peu aguerri après plusieurs journées de pratique, une traversée assez symbolique permet de traverser l’Atlantique : on peut partir des Canaries, de Madères ou du Cap Vert et relier les Antilles. C’est déjà super ! Faire ça l’hiver, après la saison des cyclones, c’est une belle aventure !”
PHOTO © JM.Liot-Aléa / disobey. / Apivia
Bonus :
Ce qui vous a le plus manqué pendant le Vendée Globe ?
De la musique ! J’avais prévu plein de playlists mais j’ai eu un problème avec mon compte Spotify donc je n’avais presque pas de musique sur mon téléphone.
Ce qui vous manquera le plus ?
(Il réfléchit longuement) La liberté ! La liberté totale, sans couvre feu. Être libre de mes choix, de mes trajectoires, de quand je mange, quand je dors, ce que je fais, etc.
Quels étaient vos petits plaisirs pendant la course ?
Les rêves ! Quand tu te réveilles après un rêve sympa, tu as l’impression d’avoir pris des mini vacances (rires). C’est agréable !
Ne pas se laver, un plaisir ou une torture ?
Autant à terre je ne peux pas démarrer une journée sans ma douche du matin (rires), autant en mer ça ne me dérange pas.
La minute adrénaline
Le champion de la semaine :
Antoine Adelisse : de l’argent aux X Games et de l’or en Coupe d’Europe
Six jours après avoir obtenu une médaille d’argent aux X Games d’Aspen aux États-Unis (Colorado), le Français Antoine Adelisse a remporté la Coupe d’Europe de Big Air aux Arcs (Savoie), ce samedi 6 février. Déjà titré en 2020, le jeune skieur freestyle (24 ans) a devancé son compatriote Timothé Avignon et le Suisse Nicola Bolinger. Chez les femmes, un autre duo de Françaises est monté sur les deux plus hautes marches du podium. À seulement 15 ans, Bérénice Dode a en effet conquis le titre européen devant Kim Dumont Zanella et l’Italienne Elisa Maria Nakab.
L'inspiration de la semaine
L’émouvant grand format "Toujours se relever" sur Yves Auberson, marcheur atteint de parkinson (Stade 2, France 3)
Le pitch : "Marcher pour se sentir vivant, telle est la philosophie de vie d’Yves Auberson. Malgré la maladie de Parkinson, il a parcouru plus de 1000 km dans les Alpes suisses en moins de trois mois. Stade 2 l’a suivi boucler cet incroyable périple."
Ce qu’il ne faut pas rater
L’évènement à suivre :
11-21 février : Les Mondiaux de ski alpin à Cortina d’Ampezzo, en Italie :
Les championnats du monde de ski alpin débutent ce jeudi 11 février par les super-G femmes puis hommes. Alexis Pinturault (29 ans) sera l’un des favoris du combiné (15 février), dont il est tenant du titre, et du géant (19 février), qu’il domine en Coupe du monde. La pépite Clément Noël (23 ans) visera quant à lui le slalom (21 février) alors que chez les femmes, Tessa Worley (31 ans), double championne du monde en géant (2013, 2017), est la principale chance de médailles (18 février). Parmi les sept Françaises et dix Français sélectionnés à Cortina, se trouvent peut-être les premiers champions du monde en "parallèles" hommes et femmes (16 février), discipline individuelle inédite de ces Mondiaux.
Vous pourrez suivre l’ensemble de la compétition sur France télévisions et Eurosport.
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