Pascal Sancho, au sommet de l'engagement...
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Temps de lecture :
- Entretien : 9 min
- La minute adrénaline : 1 min
- Le Jeu de la semaine : 1 min
Pascal Sancho: “Ma plus grande fierté ? Avoir sauvé des vies”
En route pour les sommets, vous avez été nombreux à découvrir une montagne différente cette saison. Moins de folie douce, plus de sueur ? Pourtant, si la montagne vous a semblé plus calme qu'à son habitude, certains continuent à veiller sur votre sécurité. Secouristes de haute montagne, ils exercent le métier le plus dangereux de France, devant le Raid et le GIGN. Nous avons rencontré l'un des plus charismatiques gardiens de ces lieux.
Pascal Sancho a réalisé ces 30 dernières années plus de 1000 sauvetages, souvent dans des conditions extrêmes. Il publie en 2020 son premier livre Bravo Papa! aux éditions Mareuil, il y retrace son parcours et partage ses réflexions sur l'engagement, la résilience et le leadership.
De la brebis bloquée sur une crête, aux crashs d'hélicoptère en passant par la tragédie du Vol 4U9525 German Wings, Pascal revient avec vous aujourd'hui sur une carrière exceptionnelle, ses hauts et ses bas. Récit.
Comment avez-vous découvert le secourisme en montagne et qu'en attendiez-vous? Qu'est ce que vous y avez trouvé finalement?
Pour moi, c'était une vocation, qui s'est imposée comme une évidence. J'ai découvert la montagne assez tôt dans les Pyrénées: quand j'étais enfant, j'écoutais émerveillé tous les récits de chasse, sur les derniers hommes qui avaient tué des ours... Pourtant, j'ai vécu 17 ans dans le 92, alors j'ai passé plus de temps au Vieux Campeur que sur les sommets! (Rires)
Ce déclic, je l'ai eu quand j'ai regardé cette affiche dont je me souviens très bien, une Alouette III (ndlr: Hélicoptère), avec un bonhomme suspendu en dessous, dans ce décor somptueux, surplombant Chamonix. J'ai été subjugué par l'émanation esthétique de cette affiche. Je me suis vite rendu compte que le sauvetage en montagne, c'était bien plus que des acrobaties, et que l'humain l'emportait dans quasiment tous les cas de figure.
Vous pourriez nous partager une expérience de sauvetage "joyeux" qui vous a particulièrement marqué ou ému?
Il y en a pas mal, mais c'est vrai que je parle souvent des gamins dans le canyon. Il m'a marqué parce que c'était un secours qui aurait pu tourner au drame. Il y avait tous ces enfants dans une montée d'eau de nuit en canyoning, à l'époque où les canyons étaient assez peu pratiqués et les services de secours peu formés pour cela! Et finalement ce soir là on a réussi un secours "techniquement parfait" avec un timing incroyable. Ça aurait pu durer très longtemps, et ça m'a aussi marqué, car un des jeunes ressemblait beaucoup à mon fils. En fait, souvent spontanément le cerveau a plus envie de se souvenir des belles choses que des événements dramatiques.
“Je me suis vite rendu compte que le sauvetage en montagne, c'était bien plus que des acrobaties, et que l'humain l'emportait dans quasiment tous les cas de figure.”
Parmi vos 1000 sauvetages réalisés, vous avez gardé très peu de contact avec les victimes. Pourquoi ?
Dans la plupart des situations, j'essaie de cloisonner les choses, de ne pas tout mélanger. Parfois, certaines personnes me reconnaissent, notamment celles que j'ai la "malchance" de secourir plusieurs fois: et d'ailleurs, dans ce cas je leur dis que c'est déjà une fois de trop! (Sourire).
C'est sur que si quelqu'un vient nous voir au poste en disant qu'elle a été secourue par nous on l'accueille avec plaisir pour un café, mais je ne cherche pas de relation particulière, les sauvetages joyeux, ça relève souvent de l'anecdote. Le plus souvent on intervient sur de vrais pépins, donc les gens n'ont pas toujours envie de revivre ça...
Dans votre livre, vous parlez du groupe comme d'un orchestre. Comment ça fonctionne, une équipe de 38 secouristes en montagne? Quelle est la place du leadership pour mener de telles opérations?
À Lannemezan, dans les dix dernières années de ma carrière, j'ai fini par gérer la plus grosse section de montagne en France. Il faut avoir en tête qu'on a affaire à des gens surqualifiés et hyper passionnés, donc au niveau management, ce n’est pas vraiment "garde à vous, repos!", loin de là! Quand on prend une décision, il faut vraiment qu'elle soit bien justifiée et comprise. J'ai franchi les niveaux les uns après les autres, de sauveteur, à chef d'opération puis à chef de groupe, et j'ai toujours été convaincu que même s'il y avait des désaccords, la chose la plus importante, c'était le groupe. Une personne brillante, elle peut donner une impulsion ponctuelle, mais dans la durée, et quand on va rencontrer des obstacles, j'ai toujours placé l'intérêt du groupe et de la mission au-dessus de tout le reste.
"Pendant 30 ans, on est nourri à l'adrénaline, on se fait une nouvelle idée de la condition humaine, et quand ça s'arrête, c'est un peu le vide."
Avec des liens aussi forts, ça a été difficile de se détacher de ce groupe ?
C'est comme une cordée en montagne, c'est un peu à la vie à la mort! (Rires). On sait que chaque geste va impacter la sécurité de l'ensemble donc les relations sont très fortes. Moi, j'ai mis un peu de distance à la fin de ma carrière, car j'avais du mal à couper le cordon: après 30 ans de passion, revenir dans un poste, ça pouvait être douloureux, c'est difficile de passer à autre chose! Mais les relations restent fortes, on continue à s'intéresser à ce qui se passe.
Pendant 30 ans, on est nourri à l'adrénaline, on se fait une nouvelle idée de la condition humaine, et quand ça s'arrête, c'est un peu le vide.
Avec mon livre, j'ai parfois l'impression de rempiler, des jeunes m'envoient des messages et je fais presque du recrutement, c'est génial comme vision des choses aussi!
"En montagne, on ne peut pas tricher, on doit dire quand on n'est pas bien: on est éduqué dans cet ADN de savoir mettre un genou à terre."
Avez-vous des conseils à donner, des leçons que l'on pourrait appliquer dans le monde professionnel?
Pour ma part, je suis vraiment autodidacte, mais je dirais que le coeur des choses, c'est l'humain. Lorsqu'on place l'humain au centre du débat, avec sincérité, nos qualités nos défauts, nos limites, et l'intérêt du groupe avec lui, c'est là que naît une société et qu'on peut vraiment avancer. Ça permet aussi de digérer ses erreurs, car c'est dans la difficulté qu'on se construit. Je parle souvent aussi d'humilité et d'ouverture d'esprit, qui se transposent totalement à l'entreprise.
Lorsque l'on part 10 ou 20 heures en cordée, parfois on est le leader parce qu'on est plus fort à cet instant T, mais dans l'heure qui suit, si tu as un coup de moins bien, c'est ton camarade qui était derrière au début qui va te tirer vers le haut. C'est un symbole fort! En montagne, on ne peut pas tricher, on doit dire quand on n'est pas bien: on est éduqué dans cet ADN de savoir mettre un genou à terre.
"Le renoncement doit faire partie des premières décisions à prendre: la montagne, elle sera toujours là demain."
Alors comment fixe-t-on la ligne rouge au-delà de laquelle ne pas aller? Et comment s'y tenir ?
Il faut distinguer la pratique personnelle et le secourisme professionnel.
D'abord, il y a la pratique personnelle, de l'alpiniste lambda. Pour lui, le renoncement doit faire partie des premières décisions à prendre: la montagne, elle sera toujours là demain donc s'il y a un risque, trop de glace, des chutes de pierres, il faut redescendre et revenir plus tard. Renoncer, c'est certainement ce qu'il faut apprendre le plus vite en montagne.
Après, il y a le métier de secouriste. Moi, en 30 ans, j'ai eu la chance de ne jamais avoir eu à me poser cette question. On accepte d'être dans un domaine dégradé, voire rouge vif: ce n'est pas envisageable de faire demi-tour quand on sait que deux personnes nous attendent là-haut en danger de mort.
Je me souviens d'une fois où il y avait des rafales à 110km/h, le pilote avait failli aller au tapis, et puis finalement il est rentré au poste reprendre ses esprits un quart d'heure, et il est reparti. À ce stade-là, on ne peut pas renoncer! On sait qu'on est capable d'aller dans nos retranchements ensemble, chacun va donner le meilleur, et c'est ça qui fait la beauté de notre mission. Je m'en suis rendu compte en quittant le groupe, on banalise un peu des choses qui sont dingues. Ça nous paraît normal d'avoir des pales à un mètre du rocher... On travaille au même niveau d'exigence qu'un pilote de Formule 1, sauf qu'il n'y a pas de bac à sable, et parfois, les pales finissent par toucher le rocher. Mais quand on part en mission, on n'envisage pas de ne pas réussir.
"On travaille au même niveau d'exigence qu'un pilote de Formule 1, sauf qu'il n'y a pas de bac à sable, et parfois, les pales finissent par toucher le rocher."
Le secourisme ce n'est pas que des succès, pouvez-vous nous raconter ce fameux jour de ce que vous appelez "la tragédie de l'Arbizon" dans votre livre ?
L'Arbizon, c'est vraiment un drame. Sur le papier, c'est un secours "banal"; mais en réalité, il n'y a jamais de banalité en montagne. En début de soirée, l'hélicoptère s'est crashé en pleine face, et s'est retrouvé en équilibre au milieu de la paroi, les turbines continuant à tourner et le kérosène à couler.
Mon camarade Philippe est décédé sur le coup, et avec l'impact, le pilote s'est retrouvé encastré, entre la carlingue et la paroi, tout ça à 200 mètres au-dessus d'un couloir à 45 degrés. Nous avons commencé par l'extraction du pilote, ce qui a demandé un engagement exceptionnel des gars, parce qu'on n'a jamais rencontré ce cas de figure.
Les conditions sont compliquées: une mer de nuages s'est levée, c'est comme une marmite. En montagne, normalement, les pilotes ne volent pas à travers les nuages comme les avions de ligne, et pourtant, il faut évacuer Franck! Bruno, aux manettes de l'hélico, est exceptionnel: il sait que s'il n'y va pas, son camarade va mourir, alors il fonce. Guidé à vue et avec un grand phare, il traverse les nuages une première fois, puis perd le contact visuel avec le pilote: il fait alors demi-tour. Il finit par atteindre la zone lors du second essai et parvient à hélitreuiller Franck vers l'hôpital. Un vrai symbole d'engagement qui sauvera la vie de Franck.
"J'avoue qu'après une semaine au poste, où on est chargé d'adrénaline H24, où on n'arrête pas d'intervenir, quand on remet les pieds sur le plancher des vaches, la vie paraît un peu fade..."
Quel genre de sacrifice avez-vous réalisé pour atteindre cet objectif ? Arrivez-vous à les partager avec vos proches?
Le métier est très élitiste: on prend à peu près 10% des candidats, donc ça suppose des sacrifices, mais c'est un honneur et un plaisir de faire ce job! Il n'y a pas de gloire à cela, ça n'est pas plus difficile que de réussir une grande école, mais c'est sûr que ça a un impact important sur la vie privée. J'avoue qu'après une semaine au poste, où on est chargé d'adrénaline H24, où on n'arrête pas d'intervenir, quand on remet les pieds sur le plancher des vaches, la vie paraît un peu fade... Il y a un peu d'égoïsme par rapport à notre vie privée: c'est peut-être un signe de faiblesse, mais j'avais aussi un peu la crainte que mes enfants accrochent avec ce genre de métier, et je n'avais pas envie de revivre ça.
Quand je suis entré dans ce job, je savais que je n'irais pas forcément jusqu'au bout: en 30 ans, j'ai perdu 6 collègues sur 38, c'est beaucoup! Quand j'accompagnais des familles de camarades qui sont parties, je me disais parfois que c'était quand même cher payé...
Quel est votre regard sur l'engouement des sommets (Everest, K2, Mont-Blanc) ?
La montagne, c'est avant tout un lieu de rencontre avec soi-même. Je ne suis pas dans la performance. Quand on va faire la face nord des Grandes Jorasses, le projet, il est avant tout intérieur, ou à deux. Faire le Mont-Blanc pour le Mont Blanc, ça n'a pas de sens, ou dire "je fais l'Everest cette année, le pôle Nord l'année prochaine", ça ne me fait pas rêver! Pour moi il manque la dimension humaine: je respecte, mais j'ai du mal à y adhérer.
À la lecture de votre livre on est souvent impressionné, ému et de temps en temps on rit volontiers avec vous. Pouvez-vous nous raconter vos blagues téléphoniques entre stations ?
C'est vrai que je parle d'action, mais dans les postes, il y a aussi beaucoup d'inaction! On est très liés et taquins entre nous, on a beaucoup de complicité, il faut dire qu'on passe plus de temps avec les gars qu'avec nos épouses! (Rires). Alors c'est vrai qu'on se cherche... Par exemple, une fois, j'avais imité la voix d'un type en montgolfière en plein hiver pour un copain qui était fan de vol libre: il est parti à fond la caisse avec son gyrophare et s'est planté au milieu d'un grand pré de la vallée d'Aure à attendre la montgolfière qui n'est jamais arrivée!
Et moi je me suis fait piéger à 6h du mat par un pote qui imitait une voix de berger un peu rustique, qui avait perdu son troupeau sur une barre rocheuse à l'époque où on faisait aussi de l'assistance aux animaux. On est motivé comme jamais, on se prépare, et finalement on nous rattrape dans notre élan (Rires)!
Quand on quitte ce métier, évidemment il y a l'adrénaline, mais avant tout c'est vraiment le groupe qui nous manque, les gens avec qui on a vécu des choses drôles, et souvent intenses.
Le temps additionnel
Ton endroit préféré→ Le Kamtchatka - Sibérie.
Ton prochain défi → Ecrire un second bouquin orienté sur la psychologie du métier.
Ta plus grande fierté → Avoir sauvé des vies, certainement pas des sommets.
Une recommandation de livre → Bravo Papa ! aux éditions Mareuil (Rire)
Un conseil → "Allez au bout de vos rêves", mais donnez-vous les moyens et préparez-vous bien pour!
A l’affut de belles images? Allez suivre le compte officiel des PGHM et PGM: @pghm.officiel sur instagram, immersion garantie!
Guide de montagne starter pack
Fréquence d'interventions : autour de 1.000 sorties par an pour le PGHM
Formation standard: hélicoptères (EC-145), généralement deux secouristes, un pilote, un mécanicien treuilliste et un médecin urgentiste
Nombre de brigades de secouristes : 280 gendarmes secouristes, 210 policiers secouristes en montagne (CRS), et 300 sapeurs pompiers spécialistes du secours en montagne.
Nombre d'interventions et de personnes sauvées : en 50 ans, 21.000 interventions et plus de 25.000 personnes secourues!
Comment devenir secouriste en montagne :
Par la police nationale (concours de gardien de la paix avant de suivre une formation de secouriste en montagne);
Par l'école de gendarmerie;
Par les groupes montagne sapeurs-pompiers (GMSP).
La minute adrénaline
Perrine Laffont
Une Pyrénéenne sur le toit du monde! Du haut 22 ans, Perrine Laffont a désormais tout gagné. Après l'or olympique en 2018, la championne de ski bosses en simple s'est offerte le dernier titre qui manquait à son palmarès, son premier titre de championne du monde en individuel au Kazakhstan. Un palmarès d'autant plus impressionnant que sa dernière défaite remonte à janvier 2019!
Quelques larmes sur la piste, et c'est reparti, vers les jeux de 2022 pour tenter de devenir la première double championne olympique de sa passion.
L'inspiration de la semaine
Notre film coup de coeur dans la foulée de cette édition en haute montagne : The Dawn Wall.
Disponible sur Netflix, le documentaire retrace le défi de Tommy Caldwell et Kevin Jorgenson d'escalader El Capitan. Une bouffée d'oxygène en cette période si spéciale.
Le jeu de la semaine
Cette édition vous a plus et vous souhaitez en apprendre davantage sur le métier de secouriste en haute montagne ?
Pascal Sancho vous offre et son livre dédicacé Bravo Papa! publié aux éditions Mareuil. Pour participer au jeu-concours, il vous suffit de partager cette édition sur Linkedin, Facebook ou Twitter (n’oubliez pas de nous taguer pour être comptabilisé @Gabrielle_Thin @Baptiste_Gamblin ). Tirage au sort et résultats dans la prochaine newsletter!
Félicitation à @Erwan_Morlet qui remporte le livre “A dos d’oiseaux”, dédicacé par Sarah Marquis !
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